Récit sur la guerre de Crimée
- Simone Pourprix Groenenboom
- 27 juil. 2024
- 9 min de lecture
Le 12 février 1818 a lieu le mariage entre Pierre MOINE et Marie-Pierrette GUDEFIN dans la commune de la Chapelle Thècle. Ensemble, ils vont avoir 7 enfants dont le premier, Jean-Baptiste, nait le 26 décembre 1818. C’est l’aïeul paternel de 5e génération de mon époux Christian POURPRIX. Comme dans beaucoup de familles à cette époque, il n’est pas rare d’avoir plusieurs enfants portant le même prénom. Ainsi, un 2e Jean-Baptiste voit le jour le 20 avril 1833 à la Frette, c’est son histoire et surtout son voyage que je vais vous raconter.
La famille MOINE a quitté la Frette pour Savigny sur Seille, tout proche, où elle s’installe durablement et où toute la famille vit de l’agriculture et de l’élevage. Les ainés de la fratrie se marient et s’installent avec leurs familles autour de la propriété des parents. La France sous Napoléon III vit une période de croissance économique et, en apparence, rien ne peut venir perturber la vie de ces Bourguignons. A plus de 2000 kilomètres de ce village se préparent pourtant des évènements qui vont venir perturber l’avenir de cette famille.
Une querelle à propos des lieux saints éclate entre la France et la Russie et le tsar Nicolas Ier utilise comme prétexte la protection des populations de religion grecque pour envahir le territoire ottoman. La Russie refuse d’évacuer la Moldavie et la Valachie qu’elle occupe avec 150 000 soldats. L’empire ottoman déclare la guerre à la Russie le 4 octobre 1853 et c’est après la première grande bataille dans le port de Sinop que la France et l’Angleterre, indignées, soutiennent la Turquie et déclarent la guerre aux Russes le 27 mars 1854. Ce conflit entrera dans l’histoire comme la guerre de Crimée.
En route pour la mer noire
Jean Baptiste MOINE rejoindra le 21e régiment d’infanterie en ligne où il sera fusilier à la 4e compagnie du 1er bataillon avec le matricule 5004. Le régiment est encore en garnison à Lyon lorsqu’il fut désigné pour faire partie des troupes expéditionnaires. Le voyage débute le 16 mai 1854 en bateau à vapeur jusqu’à Avignon, et de là se poursuit par les voies ferrées jusqu’à Marseille où il arrive le 17 mai.
A l’époque, il fallait environ 4 heures pour relier les deux villes. L’histoire ne nous dit pas si les trains étaient à l’heure ou pas. Les voyageurs avaient droit à 20 kg de bagage et devaient payer pour les excédents de bagage en fonction de la durée de leur trajet. En première classe, le billet coute 12.65 francs et 6.35 francs en troisième classe. Les bagages étaient déposés dans les wagons prévus à cet effet et il est précisé que "les voyageurs ne pourront conserver avec eux, dans les voitures, les objets qui, par leur volume ou leur odeur, seraient de nature à incommoder les autres voyageurs".
Juste avant l’arrivée à Marseille, les soldats à bord du train ont pu découvrir le tunnel de la Nerthe qui permet encore aujourd’hui à la ligne ferroviaire de franchir le massif de l’Estaque. Ce tunnel a été mis en service le 15 janvier 1848 et était pour l’époque le plus long du monde avec ses 4 633 mètres. Malheureusement, en matière de record, ce tunnel détient aussi celui du nombre de morts et de blessés lors de son creusement. Sur 8500 ouvriers, 300 trouvent la mort et 400 sont grièvement blessés.
Tableau de Vincent van Gogh représentant le train près d’Arles - Le tunnel de la Nerthe

Le régiment reste à Marseille pendant vingt-deux jours avant de reprendre le voyage pour Toulon le 10 juin 1854. Dans le rapport du régiment, il n’y a pas de précisions sur les moyens de transport utilisés pour se rendre à Toulon, mais comme la ligne de chemin de fer entre Marseille et Toulon n’ouvre qu’en 1858, il est fort probable que les soldats ait fait ce chemin à pied. A Toulon, vient le moment de prendre la mer. Le 15 juin, l’état-major et le 1er bataillon du 21e régiment embarquent sur la frégate à vapeur le Cafarelli qui met la course sur l’ile de Malte où le régiment fait relâche puis poursuit sa route pour Gallipoli, passe devant Constantinople et jette l’ancre dans la rade de Varna le 26 juin. Le 2e bataillon, qui avait suivi le même itinéraire sur la corvette à vapeurs le Tisiphone, débarque le 1er juillet et le même jour quatre compagnies débarquent de la frégate le Panama. Le régiment se compose alors de deux bataillons à huit compagnies. Avec les soldats débarque aussi le choléra qui sévit avec intensité et frappe plus particulièrement les soldats qui avaient été embarqués à bord du Panama.
Le débarquement ne se passe pas vraiment comme prévu, d’après le maréchal de Saint-Arnaud : « tout arrive en pièces et morceaux, des canons sans leurs affûts et leurs chevaux, des chevaux sans leurs pièces et caissons ». L’organisation n’avait pas été réfléchie avant d’embarquer : les soldats étaient sur un navire, leur matériel sur un autre, qui de plus était un bâtiment à voile se déplaçant plus lentement. De surcroit, le port de Gallipoli était beaucoup trop petit pour le débarquement de tous ces bateaux.
Le 3 août, la brigade part occuper le camp de Zéferlich, situé à 10 kilomètres de Varna. Elle revient sous les murs de la ville, la maladie ayant sensiblement diminuée. Elle y restera jusqu’au 8 octobre, sous les ordres du général Levaillant, commandant en chef de toutes les troupes campées à Varna.
Pendant ce temps, l’armée anglo-française, qui avait débarquée à Gallipoli, s’est de nouveau mise en route pour aller attaquer le port de Sébastopol en Crimée. Le 14 septembre, le corps expéditionnaire débarque près d’Eupatoria, et le 20 les deux armées se trouvent en présence à l’Alma. Les Russes, délogés des positions qu’ils occupaient derrière cette rivière, se retirent et ouvrent la route de Sébastopol. Le 26 septembre, le maréchal Saint-Arnaud remet le commandement au général Canrobert car il est trop affaibli par la maladie. Au même moment, l’ordre est donné d’embarquer, dans les plus brefs délais, toutes les fractions de corps restées à Varna, pour renforcer l’armée déjà en place en Crimée.
Le 21e régiment est embarqué le 11 octobre sur le vapeur anglais, le Simoone, après trois jours de bivouac sur la plage. L’ancre est jetée dans la baie de Kamiesch devant Sébastopol le 14 octobre, et à partir du 17 octobre le régiment commence à participer au siège de Sébastopol en fournissant régulièrement des hommes de garde pour la tranchée et des travailleurs de nuit et de jour.
Le siège de Sébastopol

Il faut réunir deux conditions pour que l’assaut final puisse avoir une chance de réussir :
Permettre à l’artillerie de disposer ses canons suffisamment près des cibles et aux troupes d’assaut de partir de bases toutes proches de l’ennemi.
Des tranchées sont creusées en zigzag afin de protéger les soldats le plus possible et ne pas les exposer à des tirs en enfilade. Bien entendu, les travaux s’effectuent de nuit dans la plus grande discrétion. Les soldats sont confrontés aux difficultés liées à la nature du terrain, souvent rocheux, celles liées au climat, en particulier les pluies diluviennes, les hivers rigoureux et le harcèlement ennemi qui envoie presque chaque nuit des troupes de combat. Quotidiennement, un général « de tranchée » avec son état-major commande l’ensemble et réagit aux attaques avec ses moyens de réserve.

Impact de la guerre sur la Bresse Bourguignonne
La loi du 13 avril 1854 élève de 80 000 hommes à 140 000 le contingent à appeler sur la classe de 1853. Les départs pour la guerre de Crimée vont s’échelonner entre juin et octobre 1854 : il est donc clair que la classe 1853 participera aux combats. Le canton de Pierre de Bresse dont dépend Savigny sur Seille verra le nombre de soldats bons au service augmenter de 60% entre 1852 et 1853. Au total, 86 soldats de ces classes participeront à cette guerre et prendront la route pour la mer Noire. Les troupes françaises se rassemblent à Varna soit par la mer, soit par Constantinople, soit par Andrinople dans les Balkans. Après 155 jours de voyage et 4000 km Jean-Baptiste MOINE arrive en Crimée. Comme la plupart des soldats morts au cours de cette guerre, il succombe à la maladie, le scorbut, le 24 août 1855, quelques jours avant la chute de Sébastopol.

La Crimée et ses premières batailles
A plusieurs reprises, les Bressans participent aux batailles lancées pour percer la défense Russe, mais la plus grande bataille se livre dans les hôpitaux. Les soldats continuent de mourir du choléra, diarrhée et dysenterie. A partir du mois de novembre 1854 apparaissent les premiers cas de congélation. L’hiver est rude, le froid est glacial, les tempêtes de vent, de pluie et de neige se succèdent et les soldats piétinent dans les tranchées détrempées. Plus tard, d’autres maladies viennent s’ajouter à cette liste déjà longue : le typhus et les premiers cas de scorbut font leur apparition.
L’assaut sur la ville de Sébastopol est donné en septembre 1855, c’est le général Patrice Mac Mahon, natif de Saône et Loire qui est au commandement. Après la chute de la tour de Malakoff, les Russes se retirent de la ville par le pont flottant et allument des incendies. Ils se mettent ensuite à l’abri dans les anses au nord de la ville. Les pertes sont énormes : 7833 français et 2471 anglais tués, blessés ou disparus. Du côté russe, environ 10.000 hommes sont morts ou blessés. Malgré la fin des combats, les soldats resteront sur place jusqu’à la signature de la paix le 30 mars 1856, et beaucoup continueront à mourir des différentes maladies. Le retrait des troupes durera jusqu’au mois d’août 1856.
L’impact de cette guerre sur l’arrondissement de Louhans est énorme : seules 9 communes ne comptent pas de morts en Crimée. On constate que la plupart des soldats sont morts à cause de maladies, tout comme partout ailleurs en France. Sur la classe de 1852-1853, seul un soldat est mort au combat, Claude GELOT.
Chronologie des évènements clés
Années 1834-1851 – Les pèlerinages des chrétiens orthodoxes orientaux en Palestine, en particulier à Jérusalem, augmentent énormément en nombre et en taille. De nombreux voyageurs viennent de Russie, la Grèce et les pays des Balkans. Depuis 1834, les incidents entre catholiques et orthodoxes orientaux sont fréquents à Jérusalem.
2 mars 1853 - Le prince Alexandre Sergueïevitch Menshikov est envoyé en mission à Constantinople avec les exigences russes.
2 juillet 1853 – Une armée russe traverse la Pruth et entre en Moldavie depuis la Roumanie, une région qui appartenait à l’Empire ottoman.
4/5 octobre 1853 – Les Turcs déclarent la guerre à la Russie, après quoi un jour plus tard éclate officiellement la guerre de Crimée.
30 novembre 1853 – Bataille de Sinop. Au cours de cette bataille, une flotte russe dirigée par l’amiral Pavel Nachimov bat une flotte ottomane. Pour la France et l’Angleterre, cet événement est l’un des arguments pour prendre part à la guerre de Crimée quelques mois plus tard, afin d’arrêter la Russie.
28 mars 1854 – La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à la Russie, qui semble gagner la guerre contre les Turcs. Les Britanniques et les Français veulent empêcher l’expansion de la sphère d’influence russe.
Septembre 1854 – Les combats en Crimée commencent après une attaque de 360 navires alliés contre l’armée russe près de Sébastopol. Cette soi-disant campagne de Crimée visait à détruire toute la flotte russe en six semaines, mais a fini par durer un an. La plus célèbre des batailles en Crimée est celle de Balaklava, qui a eu lieu en octobre 1854.
25 octobre 1854 – Attaque russe contre la ville portuaire de Balaklava. Les Russes chassent les Turcs, mais rencontrent des troupes anglaises et françaises dans une vallée. Les Anglais ouvrent l’attaque, mais sont fauchés par des canons russes pillés à l’armée turque. Cette fameuse action de désespoir britannique est appelée « La charge de la brigade légère ».
26 janvier 1855 – Le royaume de Sardaigne-Piémont rejoint la guerre de Crimée avec 18 000 soldats. Entre le 9 et le 14 mai, ces troupes débarquent à Balaklava, transportées par des navires anglais.
2 mars 1855 – Après la mort du tsar Nicolas 1er, le tsar Alexandre II lui succède au trône.
Avril 1855 – Un câble télégraphique sous-marin est construit, reliant Paris à la région de Crimée. Ce changement révolutionnaire permet à Paris et Londres de communiquer avec leurs troupes dans les 24 heures.
8-9 septembre 1855 – Chute de Sébastopol : les Alliés expulsent enfin les russes de Sébastopol. Après cela, les anglais projettent d’attaquer la ville de la Couronne et Saint-Pétersbourg en 1856, mais n’auront pas l’occasion de mettre ce plan en œuvre car les russes se seront rendus avant.
1er février 1856 – La Russie accepte les conditions préliminaires de la paix.
30 mars 1856 – Signature du Traité de Paris. L’intégrité de la Turquie ottomane est établie, la Russie doit céder la Bessarabie, la mer Noire devient territoire neutre et le Danube est ouvert au transport maritime international.
Nombre de tués par pays pendant la guerre de Crimée :
Russes : 450.000 morts
Turcs : 120.000 morts
Français : 100.000 morts
Britanniques : 21.000 morts
Sardes : 2.000 morts
POURPRIX Christian est un petit-neveu de 5e génération de MOINE Jean-Baptiste :
Pierre MOINE a eu 7 enfants avec Marie Pierrette GUDEFIN, dont
Jean Baptiste MOINE qui a eu 3 enfants avec Marie PRUDANT, dont
Marie Claudine MOINE qui a eu 3 enfants avec François FLATTOT, dont
Marie Claudine FLATTOT qui a eu 10 enfants avec Jean POURPRIX, dont
Alphonse Honoré POURPRIX qui a eu 4 enfants avec Germaine GIRARDOT, dont
Roger POURPRIX, qui a eu 4 enfants avec Denise REBILLARD, dont Christian POURPRIX
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